Toujours rester modeste

Je suis assis derrière ma table, un peu fatigué par la soirée de la veille, lorsqu'un homme se plante devant moi et me dit : « Il est pas là Didier Decoin ? »

Je regarde à ma droite, effectivement, depuis le début de ce salon du livre je suis assis à côté de cet illustre écrivain, qui dédicace 10 romans quand personnellement je m’applique à en signer un seul avec conviction, et je réponds au type : « Visiblement, monsieur Decoin n'est pas encore là... » L'homme est déçu, il n'a pas le temps d'attendre, alors il me demande si ça ne m'embêterait pas de lui signer un livre de Didier Decoin. Je n'ose pas lui faire remarquer que je ne m'appelle pas Didier Decoin, je lui dis seulement : « Vous êtes certain que c'est une bonne idée ? » et l'homme me répond que puisque je suis, moi aussi, un écrivain, ça fera l’affaire. Il me tend le roman qui porte le titre Le nageur de Bizerte, je prends le livre sans trop d’empressement, je demande ce que je dois écrire et l'homme me répond : « Pour Adeline, à l'occasion de ses 48 ans. Bonne lecture. Didier Decoin... » Plutôt prévoyant, mon interlocuteur me précise : « Vous rajouterez après la signature que vous êtes désolé si votre écriture est maladroite, car vous vous êtes blessé à la main en voulant réparer votre table de nuit... » J’aurais pu demander s’il pensait réellement que Didier Decoin perdrait son temps à réparer sa table de nuit, alors qu’à son âge il doit plutôt rentabiliser ses dernières années pour achever son œuvre, mais par curiosité je consens à rédiger une dédicace en lieu et place de son auteur, tout en espérant que celui-ci ne va pas débarquer sur le stand en me demandant si c’est parce que je n’ai jamais eu le prix Goncourt que je me venge sur le président dudit prix. Une fois mon forfait commis, je rends le livre à son propriétaire qui me dit à peine « merci » et qui s’éloigne en me laissant seul avec ma propre pile de romans vierges de dédicaces.

J’en étais à débattre avec une lectrice sur le motif de l’absence de Didier Decoin, qui devait vraisemblablement participer à une table ronde organisée quelque part sur le salon, lorsque mon précédent visiteur vint nous interrompre en me disant : « Vous avez fait une erreur ! » Lisant et relisant ma dédicace, je ne vois pas quelle erreur j’aurais pu commise, à part celle d’avoir signé un livre à la place d’un autre, et le type pose son doigt sur le bas de la page de garde en me disant : « Vous avez écrit Decon ! » Ne pouvant que constater cette bourde enfantine, bien sûr causée par la honte d’avoir participé à cette mascarade, je tente de corriger l’absence du « i » tant bien que mal tout en suggérant à l’homme d’ajouter en bas de page « Décidément, je ne suis vraiment pas un bon bricoleur ». L’homme refuse cette phrase supplémentaire en se justifiant ainsi : « C’est pas une blague, non plus, c’est vraiment un cadeau que je veux faire... » Je rends donc son cadeau au type qui découvre que ma correction ne lui convient pas, alors je lui explique que si j’ai ajouté un « s » à Decon, c’est parce que nous sommes deux sur le même bateau. L'homme me regarde avec un air qui me laisse penser que nous ne fréquentons pas les mêmes fournisseurs en pensées rigolotes, il me jette presque le livre à la face, et il me dit : « Vous pouvez vous le garder, si ça vous fait rire ! » La lectrice qui nous regardait me dit : « Vous êtes le secrétaire particulier de monsieur Didier Decoin ? » et moi je lui réponds : « Si on peut dire... D’ailleurs, je vous ai parlé des livres qu’il écrivait sous le pseudonyme de Frédéric Viguier ? » 

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