Pièce de théâtre : l’annonce faite à Camille

Ou la psychanalyse au chevet de Camille Claudel 

1917… Auguste Rodin vient de mourir et Camille Claudel, qui fut successivement son élève, sa maîtresse et sa muse, est internée depuis 1915 à l’Asile de Montdevergues (dans le Vauclus) pour des raisons objectives de fragilités mentales ; ce qui n’empêche pas certains d’évoquer un internement abusif. 

Le petit frère de Camille Claudel, Paul, est Consul de France au Brésil. Sa fille Renée vient de naître à Paris. C’est lui, dès 1912, et ensuite peu après le décès de leur père, alors qu’il est en poste à Francfort, qui organise l’internement de Camille sans pour cela accepter que l’on puisse le considérer comme étant l’instigateur d’un isolement forcé.

Paul Claudel a toujours été fasciné par cette sœur au tempérament de feu et sûrement aussi sous l’influence de son génie artistique. Lors des premiers signes d’un évident délabrement mental, dont la pièce aborde les multiples causes (patrimoine génétique, contexte familial délétère, traumatisme lié à une relation amoureuse intense et destructrice), Paul menait sa vie de diplomate et de poète en s’inquiétant surtout pour sa propre santé mentale. Convaincu d’être, comme sa sœur Camille, détenteur de la grâce inspiratrice, et donc tributaire de ses méfaits, puisque doté d’une sensibilité exacerbée qu’il jugulait par un arrivisme de sauvetage et une foi indéfectible, on sait que, et même s’il n’a pas signé en son nom la « demande de placement volontaire », l’internement de Camille l’a rassuré.

Pendant trente longues années Paul Claudel tiendra Camille éloignée de lui comme on se protège d’un virus au contact duquel on se croit vulnérable, négligeant les avis des médecins qui conseillaient un retour apaisant dans la sphère familiale, et surtout en l’abandonnant littéralement pendant les privations de la seconde guerre mondiale qui occasionnèrent la mort de 50 000 internés par manque de soins et de nourriture ; un épisode caractérisé par l’expression d’« extermination douce »… 

Malgré son engagement religieux, Paul Claudel ne sera pas non plus présent lors de l’enterrement de Camille, dont le corps sera enseveli dans une fosse commune en présence du seul personnel de l’asile.

C’est dans le contexte des premières années de l’internement de Camille Claudel que la pièce imagine une visite de Paul à sa sœur afin de lui annoncer la mort d’Auguste Rodin. Souhaitant mettre un terme au rumeurs qui qualifient la famille Claudel de « peu charitable » - quelques initiés accusent Paul Claudel d’avoir éloigné sa sœur pour mieux faire la promotion de son propre talent artistique, et des articles de presse évoquent même une séquestration abusive - il lui semble évident que la mort de l’ancien amant de Camille peut servir son argument ; et revenir à Paris avec une œuvre produite après plusieurs années infécondes serait, selon Paul, la preuve que l’unique responsable des problèmes psychologiques de Camille est bien Rodin. C’est l’obstination de sa sœur qui refuse de sculpter (et qui ne sculptera plus jusqu’à sa mort) qui incite Paul a faire entrer discrètement à l’asile un visiteur à qui il confie la mission d’inciter Camille à se remettre à son art…

Note de l'auteur : cette pièce fut créée au Festival Off d’Avignon, à l’occasion du centenaire de l’internement de Camille Claudel. C’est le Grand théâtre de Montfavet qui accueillit les représentations de la pièce (Montfavet étant le village où était situé l’asile dans lequel Camille Claudel fut internée jusqu’à sa mort).


Dépliant Festival Off d'Avignon
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Camille — Ce lieu est maudit, et il a été choisi par ma propre famille !

Paul — Tu oublies que c’est la guerre, et que l’on ne peut pas faire exactement comme on le souhaiterait, il a fallu nous adapter aux circonstances…

Camille — Il n’y avait pas de guerre en 1913, et ça ne vous a pas empêché de me faire interner !

Paul — Dis-toi que ces années d’isolement t’ont sûrement sauvé la vie… Et puis, pense à notre malheur, à nous tous, quand nous avons dû prendre la décision de t’éloigner de ce Rodin de malheur.

Camille — Vous ne m’avez pas éloignée, vous m’avez fait disparaître !

Paul — Camille, sois charitable… Ces quatre années de solitude sont aussi les nôtres…

Camille — Des années que j’échangerais volontiers contre une heure de votre liberté, à vous tous…

Paul — La liberté n’est pas loin Camille… Rodin, sans le savoir, a libéré ton destin.

Camille — Un des médecins de l’asile me répète souvent qu’il m’aurait tout appris…

Paul — Mais… De quel droit ? Cet homme n’y connaît rien… Tu me donneras son nom, je vais prendre des dispositions. - il fait le tour du banc - Rodin ne t’a rien appris, il t’a tout pris, voilà la vérité ! Il t’a connue quand son inspiration faiblissait. Souviens-toi, comment il boxait la glaise, avec ses poings, quand toi déjà tu la façonnais avec ton âme ! Souviens-toi !

Camille — Il ne m’a pas appris à sculpter, tu as raison, il a guidé mes premiers pas…

Paul — Tes premiers pas dans le milieu artistique, peut-être... Mais Rodin n’a pas guidé tes mains ! Elles n’avaient pas besoin de lui ! 

Camille — Sauf quand je le caressais…

Paul — Ah non ! Pas ça ! Ma sœur sous l’emprise du démon… Ne m’inflige pas cette vision de toi, je t’en conjure…


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